Livre « Ressacs »

Ressacs

Chez les Griffon du Bellay, l’Épopée du Radeau de la Méduse a toujours été une Histoire de famille : depuis que Joseph Jean Baptiste, l’ancêtre, un des quinze survivants du naufrage, a corrigé avec la minutie et la précision d’un sculpteur le récit officiel de la tragédie, il a été instauré la tradition de transmettre son exemplaire annoté de père en fils aîné.

Pourtant, c’est une des arrières-arrières-petites-filles, Clarisse, sculptrice, qui avec la même sincérité que l’aïeul, a ressenti la volonté intime de se dégager du tabou familial, à l’aide de son écriture, si proche de la pointe, précise, de sa gouge. 

Clarisse Griffon du Bellay est née en 1981. Elle suit des études de lettres modernes, avant de se consacrer à la sculpture en taille directe de bois. Depuis 2010, elle expose régulièrement en France et en Europe. Ressacs est son premier roman. 

Image de couverture : Victor Hugo, plume et lavis d’encre brune et gouache : “Ma destinée”, 1867, Paris, Maison de Victor Hugo.

978-2-86231-534-8, Coll. À Vif, 112 pages. 17 €

Interview sur France Inter

L’Édito culture d’Élisabeth Philippe sur France Inter :

Interview à l’atelier pour « Des Vies Françaises » sur France Inter

Charlotte Perry a réalisé une interview diffusée en 4 épisodes, que vous pouvez écouter en podcast en cliquant sur ce lien :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-clarisse-griffon-du-bellay-l-heritage-cannibale

Quelques Articles :

Le Nouvel Obs, par Élisabeth Philippe

« Joseph Jean Baptiste, mon ancêtre rescapé du radeau de  » la Méduse » et cannibale »

Dans « Ressacs », son premier et très beau livre, Clarisse Griffon du Bellay raconte l’histoire incroyable de son aïeul et l’héritage qu’elle porte dans son sang.

Forcément, on est aussitôt embarqué. Un livre écrit par la descendante d’un rescapé du radeau de « la Méduse » ? Voilà qui fait bouillonner notre imagination comme de l’écume. On imagine déjà le célèbrissime tableau de Géricault prendre vie. Comme si Clarisse Griffon du Bellay, 42 ans, autrice de l’intrigant récit, allait sortir de la toile, s’extirper de l’amas de corps à moitié dénudés pour venir à notre rencontre, en ce matin de janvier. Lèvres incarnates et peau d’albâtre, elle semble plutôt avoir été peinte par Ingres. Mais un modèle qui aurait délaissé la robe Empire pour un jean et un épais pull de laine.

Beau, singulier et précieux, « Ressacs », son premier texte publié, nous a donné envie d’en savoir plus sur elle, de découvrir qui se cachait derrière cette prose viscérale, blanche et saignante à la fois. Saignante, oui, car comme Clarisse Griffon du Bellay le rappelle dès les premières lignes de son livre : pour survivre parmi une centaine d’hommes sur le radeau fait de rondins mal joints, son arrière-arrière-grand-père a dû, comme la quinzaine de rescapés, briser l’un des plus grands tabous humains : manger la chair d’autres hommes.

« J’ai toujours su pour le radeau, comme si j’avais été bercée avec cette histoire. Il n’y a pas eu de première fois. Je sais depuis toute petite. C’est ma mère qui m’en parlait, sans filtre, de cet ancêtre qui avait mangé de l’homme, qui avait bu son pipi et qui avait la peau toute rongée et brûlée par le sel de l’eau de mer », écrit d’emblée Clarisse Griffon du Bellay. Son ancêtre qui a « mangé de l’homme » s’appelait Joseph Jean Baptiste, noble sans fortune, embarqué à bord de la frégate « la Méduse », à 28 ans, comme secrétaire du futur gouverneur du Sénégal.

Pour le quidam, tout cela paraît extraordinaire, follement romanesque, voire légendaire. Dans la famille de Clarisse Griffon du Bellay sauf chez sa mère qui n’est pas directement concernée elle reste de l’ordre l’impensé. Un arrière-fond. On préfère ne pas trop regarder ce passé en face, de peur peut-être d’être pétrifié, comme les victimes de la mythologique Méduse. Pétrifié par la honte. Par le sentiment de culpabilité de venir de ce sang-là, souillé par ce que l’écrivaine nomme les « viandes sacrilèges » . Dans « Ressacs », elle note :

« Vertige de sentir qu’on tire son sang de là, Qu’on est fait de ça, qu’on l’aurait fait aussi. »

« C’est drôle de voir la curiosité des gens pour cette histoire alors que chez moi, elle n’en a longtemps suscité aucune , constate posément Clarisse Griffon du Bellay. A vrai dire, dans ma famille, soit on éprouve une absence de curiosité, soit on se sent concerné à l’extrême. Dans tous les cas, c’est anormal. C’est le signe du tabou. »

Pour ajouter à cette atmosphère d’interdit, elle sait aussi qu’un livre est conservé dans la maison de ses grands-parents. Il s’agit du récit publié par deux autres survivants du naufrage de 1816, Corréard et Savigny, publié en 1818 et annoté par son ancêtre.

Cent quarante annotations qui rectifient et précisent. Dans la famille Griffon du Bellay, cet exemplaire gardé secret ne se transmet que du père au fils aîné et seulement à la mort du premier. « J’aime cette idée que c’est par la mort qu’il se transmet. Ce qui explique qu’on ne le cherche pas, qu’il ne se demande pas. Il est inatteignable », peut-on lire dans « Ressacs ».

Du bois et de la viande

Clarisse Griffon du Bellay grandit à Bourges sans se préoccuper de ce qu’elle appelle ces « vieilleries » , désireuse de tenir à distance tout ce qui fait d’elle une jeune fille de bonne famille. Mais il y a ces cauchemars très violents. Et bientôt de terribles crises d’angoisse. Pour les exorciser, elle se lance dans la création. La sculpture pour commencer. Elle taille dans le bois des carcasses, des demi-boeufs. Son attrait pour la viande est tel qu’elle aime se perdre dans les allées de Rungis.

Du bois et de la viande. Les matières mêmes de l’histoire de l’ancêtre sont là, sous ses yeux. Le lien qui s’impose comme une évidence, ne lui apparaît pas immédiatement. « Je n’avais pas forcément envie de faire ce lien, commente-t-elle aujourd’hui. J’éprouvais une forme de lassitude à l’égard de cette histoire un peu rabâchée. » Pourtant finit par émerger de sa gouge le radeau et avec lui, afflue le refoulé. « Cette mémoire transmise par le corps, j’avais d’abord besoin de l’apprivoiser par le corps, donc par la sculpture, par ces gestes : l’incision, la colère. Je n’aurais jamais pu la saisir seulement par l’écriture » , détaille Clarisse Griffon du Bellay.

Jusqu’à ce que des mots viennent combler les vides creusés par les non-dits. Le livre interdit, celui des rescapés, annoté par son ancêtre, finit par se retrouver chez le père de Clarisse qui a proposé de le scanner. Après des mois à ne pas oser ouvrir la pochette qui les contient, Clarisse Griffon du Bellay finit par lire les copies faites par son père. Elle, une fille, qui n’aurait, selon la tradition, jamais dû avoir accès à ce texte. « Je l’ai lu d’une traite, en transe, se souvient-elle. J’ai eu mal à la tête comme jamais. Après une lente digestion, les liens ont commencé à se faire. »

Dans les mots en marge de son ancêtre, elle découvre les massacres auxquels il a participé sur le radeau. L’organisation et même la ritualisation du cannibalisme. « Un pragmatisme froid comme la lame » , écrit-elle dans « Ressacs ». Que faire alors de cette mémoire qui passe dans son sang ? Que faire de cette histoire dont ses proches ont si peur qu’elle les éclabousse encore, même à deux siècles de distance ? Comment vivre avec ?

En brisant le silence, décide Clarisse Griffon du Bellay. Elle tente d’écrire un livre avec un historien. En vain. Elle parle aussi de son ancêtre dans une émission de radio. Après l’avoir entendue, une maison d’édition la contacte. Le projet n’aboutira pas, mais la sculptrice se sent désormais autorisée à écrire, à conjurer la malédiction du non-dit par ses propres mots. Elle se lance dans l’écriture de « Ressacs », travaille la langue comme elle sculpte le bois, joue sur la matière, taille dans le vif, ponce, élague. A l’arrivée, un livre unique, de chair et d’os.

Pour elle, écrire est une façon d’achever le geste de son ancêtre. « En le lisant, j’ai senti qu’il voulait remettre les responsabilités là où elles devaient être, mais qu’il n’a pas pu aller jusqu’au bout. » Elle poursuit : « Pour moi, l’écriture a été une libération. Après avoir vu le livre imprimé, j’ai senti quelque chose dans mon corps, comme une décantation. J’ai éprouvé le sentiment d’un ancrage, l’impression de pouvoir enfin mettre pied à terre. » Sauvée des eaux troubles du tabou.

ART PRESS, par Elsa Viet

Blog Litterae Meae : https://litteraemeae.wordpress.com/2024/01/04/genealogie-dun-art/

Blog Les Découvreurs : http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2023/12/recommandation-decouvreurs-ressacs-de.html

Blog Lettres Capitales : https://lettrescapitales.com/ressacs-la-double-reecriture-du-naufrage-du-radeau-de-la-meduse-par-larriere-arriere-petite-fille-dun-des-survivants/

Article d’Ève Charrin paru dans Marianne : https://www.marianne.net/culture/litterature/livre-quest-ce-que-cest-pour-moi-le-cannibalisme-se-demande-clarisse-griffon-du-bellay-dans-ressacs