Le Radeau de la Méduse
Le Radeau de la Méduse – bois : hêtre – 2,20 x 3,40 m – 2011
Je suis l’arrière-arrière-arrière petite-fille d’un des survivants du Radeau de la Méduse.
J’ai grandi avec cette histoire.
C’était dans un autre temps.
La chanson du petit navire où on tire à la courte paille pour savoir qui serait mangé.
C’est le plus petit qui perd, et le plus petit c’est moi.
Angoisses enfantines sourdes.
La mer, sépulture mouvante.
Vestiges de corps. Ce qui surnage. Qui atteindrait la rive.
Quand on se dépossède de tout ce qui est humain, de l’appris.
En état d’inconscience, dans les racines du corps.
L’indomptable.
L’irréductible nécessité de vivre.
Le besoin impérieux de se nourrir.
Être un ensevelissement.
Sentir se faire en soi le long travail de la disparition.
Décider de qui doit vivre et qui doit mourir.
Choisir son camp.
Tenir.
Ne plus penser.
Aller au bout quoiqu’il arrive.
Être baigné dans l’horreur et choisir sa chance.
Prendre pour soi les lois du cauchemar
et les suivre avec une obstination de tout le corps.
Les tentations de la folie.
Se faire engloutir là, ne plus lutter.
Vertige de sentir qu’on tire son sang de là, qu’on est fait de ça, qu’on l’aurait fait aussi.
C’est cet instinct qui a porté jusqu’à moi.
Son sang, le mien, tout a passé.
Ça m’appartient, j’étais potentielle dans ces actes.
J’étais potentielle dans cette viande morte.
Qu’est ce qu’on transmet?
Le Radeau de la Méduse – vue de l’exposition La Méduse, une affaire d’artiste au Musée de la Marine de Rochefort, 2016